Révolution des Oeillets : interview de l’historien Victor Pereira

Commémoration

l'historien Victor Pereira

Le 25 avril 1974, la révolution des œillets mettait fin à quarante-huit ans de dictature. L’historien Victor Pereira, auteur de "C’est le peuple qui commande". La révolution des œillets 1974-1976 (Éditions du détour), revient sur cet épisode charnière de l’histoire du Portugal.

Dernière mise à jour : 26 avril 2024

Propos recueillis par Magali Hamard

Dans quelle situation se trouve le Portugal avant le coup d’État ? 

Victor Pereira : C’est une dictature répressive, qui dispose de la PIDE, une police politique brutale. À sa tête, il y a Salazar, un homme sans charisme, très conservateur, qui ne sortait jamais ni de son bureau ni du Portugal. Son régime, qui a duré trente-six ans, a été inspirant pour l’extrême droite française qui y voyait l’application des idées de Maurice Barrès et Charles Maurras. Mort en 1970, il ne verra donc pas le coup d’État du 25 avril. Sous son ère, la pauvreté atteint des sommets, à un point tel que 10 % de la population (900 000 personnes) quittera le Portugal pour la France de 1957 à 1974. Beaucoup d’émigrés, qui ont souvent passé la frontière illégalement, vivront dans des bidonvilles, dont celui de Nanterre.
 

Quelles sont les causes de ce coup d’État du 25 avril 1974 ?

V.P : Le Mouvement des forces armées (MFA), composé essentiellement de jeunes capitaines, veut mettre fin à la dictature et aux interminables guerres coloniales en Angola, Mozambique et Guinée. Le major Otelo Saraiva de Carvalho, qui s’inspire d’échecs précédents, tente de fédérer les régiments de l’armée. Fin stratège, il obtient la neutralité de la très droitière armée de l’air et celle, bienveillante, de la marine et de l’armée de terre. Ce militaire charismatique et très organisé n’avait pas prévu la réaction du peuple le 25 avril. Longtemps apathique, la population, au lieu de rester chez elle à la demande des capitaines, va se joindre aux insurgés. Le coup d’État devient alors une révolution.
 

Comment se déroule le jour J ?

V. P. : Le MFA contrôle d’abord les états-majors et les médias. À Lisbonne, une colonne prend possession de la grande place du Commerce où se trouvent les ministères. Réfugié au siège de la gendarmerie nationale, le dictateur Marcelo Caetano, qui a donc succédé à Salazar, exige un haut gradé pour signer sa reddition. Le choix se porte sur le général António de Spínola, qui va ensuite présider la junte de salut national, chargée d’assurer l’intérim du pouvoir politique. C’est un coup d’État dans le coup d’État. Contrairement aux jeunes capitaines qui veulent l’indépendance des colonies, Spínola souhaite une fédération de communautés votée par référendum. Cette solution néocoloniale conduira à sa démission le 30 septembre 1974.
 

Peut-on aller jusqu’à qualifier cette révolution de « pacifique » ?

V. P. : Le bilan est de cinq morts, dont quatre tués par la police politique. Le MFA, prêt à en découdre, fait face à peu de résistance, car les soldats du régime qui devaient lui tirer dessus changent de camp. La distribution d’œillets aux soldats par Celeste Caeiro, une serveuse de restaurant, participe également à l’image d’Épinal. Mais ce coup d’État, c’est d’abord un bouleversement total qui marque le début d’une révolution sociale (occupations de terre, d’usine et de logements vides), politique et culturelle, qui va durer dix-neuf mois. C’est la dernière fois en Europe occidentale que le capitalisme sera ainsi remis en cause. Les États-Unis redoutaient même que le Portugal ne devienne le Cuba européen. Certains craignaient une guerre civile qui heureusement n’est jamais arrivée. 
 

Comment la diaspora en France a-t-elle réagi en apprenant cette insurrection réussie ?

V. P. : Avec enthousiasme ! Les Portugais très politisés reviendront au pays dans l’idée de le reconstruire. Mais la grande majorité des émigrés restera en France car elle y avait construit sa vie. Et puis le Portugal, qui subissait de plein fouet la crise pétrolière, l’encourageait à ne pas revenir. Le pays comptait sur les devises de la diaspora pour sa balance des paiements et n’avait pas assez d’emplois pour absorber un retour massif.